25/01/2010 16:58 Affabulateur ou don Quichotte ? Jean-Marie Kuhn accuse le groupe GIB d'avoir pactisé avec l'Etat français lors de la vente de Quick, en 2006, en marge de la fusion Suez-GDF. Débouté en France, il tente sa chance dans le fief du milliardaire belge. Le parquet de Charleroi a décidé de mener l'enquête. ... Il soupçonne la Caisse des dépôts et consignations (CDC), un holding contrôlé par l'Etat français, d'avoir racheté la société Quick, à un montant largement surévalué, au milliardaire belge, ami de longue date de Nicolas Sarkozy. L'objectif était, selon Kuhn, de permettre au baron Frère d'avoir suffisamment de liquidités pour augmenter sa participation dans le capital de Suez et ainsi peser sur la fusion entre le groupe énergétique et GDF (Gaz de France). Un mariage qui, finalement, a bien été conclu début 2008 : la presse française avait rapporté la manière dont Sarkozy avait tranché sur la fusion, juste après l'élection présidentielle de 2007, à l'issu d'un entretien, à l'Elysée, avec Albert Frère, premier actionnaire de Suez. Et, en février de la même année, le président de la République décorait son vieil ami de la Légion d'honneur. Prendre sa revanche En réalité, le différend entre Jean-Marie Kuhn et le groupe GIB est une vieille histoire. ..
En octobre 2006, il tient un bon filon : la chaîne de restaurants Quick, évaluée deux ans plus tôt par son PDG à 300 millions d'euros, est vendue par le groupe GIB à la CDC, soit l'Etat français, pour un montant de... 800 millions d'euros. Notons qu'à l'époque Sarkozy occupait le ministère de l'Intérieur, après avoir tenu les Finances. Deux mois plus tard, la CNP d'Albert Frère cède des titres Eiffage (le grand constructeur européen) à la même CDC pour 398 millions d'euros. Ce sont ces liquidités qui auraient permis à Frère, dès janvier 2007, de grimper dans le capital de Suez. Une concomitance suspecte, en tout cas aux yeux de Kuhn. Ce dernier constate qu'en 2004 Quick a intégré, dans ses comptes, les chiffres d'affaires de ses établissements franchisés, avec pour résultat de gonfler sensiblement sa valorisation boursière. Cette démarche, selon lui irrégulière, fait l'objet de la plainte déposée à Charleroi. C'est la juge France Baeckeland,.. qui mène l'instruction du chef de faux et usage de faux. Le procureur du roi Christian De Valkeneer a même renchéri en ajoutant les qualifications pénales de faux bilans et d'infraction au code des sociétés. « C'est une procédure classique, commente de manière très prudente De Valkeneer. Il arrive fréquemment que le parquet précise les qualifications dans ses réquisitions. Cela ne préjuge de rien. A l'issue de l'instruction, on peut encore très bien estimer qu'il n'y a pas lieu de poursuivre. » No comment dans le clan Frère Dans l'entourage d'Albert Frère, on se refuse à tout commentaire officiel. Ce serait donner du crédit à un « affabulateur » (sic) et un « maître chanteur » (sic). On reconnaît tout de même que toute cette agitation devient agaçante. Quant aux arguments de Kuhn, on les balaie d'un revers de la main et on explique que le chiffre d'affaires de Quick a été modifié dans le rapport d'activités de 2004, incluant les produits de franchise, pour se conformer aux nouvelles normes comptables IFRS ( International Financial Reporting Standards ), adoptée par l'Union européenne en 2002. On rappelle aussi qu'en 2006 GIB était contrôlé conjointement par la CNP et le holding anversois AVH et que le président de Quick était Luc Bertrand, patron d'AVH et non un homme de la CNP. On souligne enfin qu'en France Jean-Marie Kuhn a essayé d'obtenir gain de cause par tous les moyens, mais qu'aucune autorité ne s'est penchée sur le fond du dossier. En effet, le 24 décembre 2007, Kuhn déposait plainte contre X et contre Albert Frère, auprès du parquet de Paris, pour « prise illégale d'intérêt », « escroquerie » et « abus de confiance ». Dès le 15 janvier 2008, la plainte était déjà classée sans suite. Motif : celle-ci n'était pas assez « caractérisée ». En 2007, l'homme d'affaires s'est également tourné vers la direction juridique du ministère de l'Economie et des Finances de Christine Lagarde. Selon lui, on lui aurait affirmé oralement que le ministère ne pouvait pas traiter cette affaire car elle avait des ramifications politiques. Invérifiable. En 2008, Kuhn a saisi la Cour des comptes : celle-ci aurait confié une enquête à deux de ses chambres dans le cadre de leurs champs de compétences. Mais, jusqu'ici, leurs rapports n'ont pas été communiqués. Dernier recours en France : le médiateur de la République. Le 28 octobre 2008, celui-ci a écrit à Jean-Marie Kuhn que sa demande ayant trait aux « conditions de financement de la campagne électorale relative aux dernières élections présidentielles », il n'était pas compétent pour se prononcer. Or, dans ses courriers au médiateur, Kuhn affirme n'avoir jamais évoqué ce lien entre la vente de Quick et la campagne électorale de Sarkozy... Bien sûr, cela fait partie de ses hypothèses. Le rachat à un prix surévalué de Quick par la CDC ne serait qu'un renvoi d'ascenseur d'un ami à un ami. Ce qui expliquerait que les autorités veuillent étouffer la chose. Jusqu'ici, les accusations de Kuhn n'ont eu que peu d'écho dans les médias français. Le quotidien Libération , qui s'y est risqué, a été condamné pour diffamation. Mais, depuis que le parquet de Charleroi a décidé de mener l'enquête, la presse hexagonale commence à s'y intéresser. Le dossier est par ailleurs suivi par quelques députés de l'Assemblée nationale, dont le député socialiste François Brottes qui a déjà adressé une question écrite au Premier ministre. L'idée d'une commission d'enquête parlementaire fait son chemin chez certains élus, dont des opposants à la fusion entre Suez et GDF.
Thierry Denoël source : LeVif.rnews.be (L'Express) | |